L’agilité a pris de l’importance dans les entreprises : largement invoquée, elle éclipse un peu l’efficience. Pourtant c’est un juste équilibre entre agilité et efficience qui caractérique les entreprises performantes. Pour illustrer ce point, il nous a semblé utile de faire une synthèse libre et traduite de l’article :
Building Ambidexterity Into an Organization
CRISTINA B. GIBSON University of California, Irvine, JULIAN BIRKINSHAW London Business School – Harvard Business Review 2004
Les déclins technologiques, les bouleversements politiques et l’incertitude économique des 5 dernières années ont réaffirmé aux managers l’importance de l’agilité : la capacité d’avancer vers de nouvelles opportunités, pour s’adapter aux évolutions du marché.
Mais, même si l’agilité est nécessaire, elle n’est pas suffisante. Les entreprises qui réussissent ne sont pas juste agiles, innovantes et proactives, elles sont également efficientes dans l’exploitation de leurs ressources (humaines, matérielles, techniques, …), dans le déploiement rapide de leur Business Model, et dans la réduction de leur coût. En un mot : elles sont alignées.
Comment la valeur est créée à court terme et comment les activités devraient être coordonnées et simplifiées pour délivrer de la valeur ?
Une entreprise, pour réussir sur le long terme, a besoin de maîtriser à la fois l’agilité et l’efficience que les auteurs nomment l’ambidexterité. Cet équilibre entre agilité et efficience, équilibre entre adaptabilité et alignement est difficile à trouver.
Agilité et efficience : l’étude réalisée par Gibson et Birkinshaw
L’étude réalisée par Gibson et Birkinshaw a vu la participation de 4195 individus provenant de 41 Business Units différentes et de 6 pays : Japon, USA, Canada, Inde, France, Corée du Sud. Tous les niveaux hiérarchiques ont été sollicités, comme le montre le tableau ci-dessous.
Les hypothèses
L’étude avait pour but de confirmer ou infirmer 3 hypothèses majeures :
- Hypothèse 1 : plus le niveau d’ambidextérité est élevé, plus le niveau de performance est élevé
- Hypothèse 2 : plus le niveau d’ambidextérité est élevé, plus le contexte d’une Business Unit (BU) est caractérisé par une interaction entre l’ambition (stretch), la discipline (discipline), le support (support) et la confiance (trust).
- Hypothèse 3 : l’ambidextérité sert de médiateur entre le contexte (et ses 4 caractéristiques : ambition & discipline / support & confiance) et la performance de la BU.
Pour la description complète de la recherche et les analyses statistiques, référez-vous au document :
The Antecedents, Consequences and Mediating Role of Organizational Ambidexterity
Academy of Management Journal 47, no. 2 (2004): 209-226.
Voici en synthèse le résultat pour chaque hypothèse.
Pour l’hypothèse 1, les auteurs ont examiné la corrélation entre ambidextérité et performance. L’étude a démontré un coefficient de corrélation r = 0,78 hautement significatif entre ces deux variables .
Pour l’hypothèse 2, les auteurs ont examiné la corrélation entre le contexte et l’interaction de ses quatre caractéristiques. Le coefficient de corrélation entre le contexte de l’organisation et l’ambidextrie est de r = 0,55. Donc l’hypothèse 2 est confirmée.
Enfin l’hypothèse 3, plus complexe à démontrer. La démonstration est divisée en 3 étapes à partir d’analyses de régression (méthode des moindres carrés). Je ne joins pas le tableau ici vous le retrouvez dans le document d’origine. Mais in fine l’effet de médiation est statistiquement significatif, ceci supportant l’hypothèse initiale qui est confirmée.
Quand le contexte de l’organisation et l’ambidextrie sont analysés comme indicateurs de performance, l’ambidextrie seule a une grande influence. Cela démontre que l’influence du contexte de l’organisation sur la performance ne se produit qu’à travers l’ambidextrie.
Les deux formes d’ambidextérité
L’ambidextérité structurelle que
The Ambidextrous Organization: Designing Dual Structures for Innovation
R.B. Duncan, (1976)
a démocratisé et qui a pour principe de séparer en deux structures les deux activités ambidextres, celles qui servent l’alignement (amélioration) et celles qui servent l’adaptabilité (innovation). Par exemple : Marketing et production versus R&D. Cette proposition de séparation vient de ce que ces activités sont de nature radicalement différentes et ne peuvent coexister.
Mais séparation peut également mener à isolation, et beaucoup d’équipes R&D ont échoué à faire accepter leurs idées, à cause d’un manque de relations avec le core business.
Les auteurs ont donc développé et exploré le concept d’ambidextérité contextuelle qui demande à chaque employé de faire des choix entre des activités orientées « alignement » et des activités orientées « adaptation » dans leur travail quotidien.
Au niveau organisationnel, l’ambidextrie contextuelle peut-être définie comme l’orientation collective des individus vers la poursuite simultanée de l’alignement et de l’adaptabilité.
La recherche réalisée par C.B Gibson et J. Birkinshaw, qui comprend des interviews avec une variété d’employés, du niveau manager confirmé à employé administratif, a identifié 4 comportements ambidextres pour les individus.
- les individus ambidextres prennent des initiatives et sont à l’écoute d’opportunités au-delà de leur propre travail
- les individus ambidextres aiment coopérer et recherchent des opportunités pour combiner leurs efforts avec ceux d’autres
- les individus ambidextres sont des créateurs de relations, ils cherchent toujours à créer des connexions internes.
- les individus ambidextres sont multi-tâches, ils ont toujours plusieurs casquettes
Ambidextrie contextuelle versus Ambidextrie structurelle
Dans les exemples évoqués, les auteurs prennent le cas de Renault et de la transformation opérée par Louis Schweitzer basée sur une stratégie construite autour de 7 objectifs stratégiques.
Les auteurs citent également l’entreprise Oracle qui avec Larry Ellison a créé un style de management entrepreneurial. Un des top managers l’exprime en ces termes :
Nous sommes alignés autour de notre adaptabilité.
Les collaborateurs, dans tous les départements métier ont un idée claire des objectifs de l’entreprise.
Comment les managers peuvent-ils commencer à réfléchir à la construction de l’ambidextrie contextuelle dans leur organisation ?
Sumantra Ghoshal et Chris Bartlett définissent le contexte comme l’ensemble invisible de stimuli et de pressions qui motive les individus pour agir dans un certain sens. Ils affirment que ce contexte est composé de 4 attributs : performance & management et support & confiance.
Selon eux, performance & management et support & confiance sont d’égale importance et se renforcent mutuellement. Attention cependant, un déséquilibre ou un manque dans l’un des deux peut conduire à de mauvais résultats. Par exemple, une orientation exigeante axée sur les résultats qui manque de support & confiance créera un contexte favorable au burnout. Inversement, un fort support & confiance sans attentes élevées de performance engendrera un contexte que les auteurs appellent contexte de country-club.
Pour les cadres qui veulent construire une organisation ambidextre, les auteurs ont retenu 5 pistes de travail :
- Faire un diagnostic de son « contexte organisationnel ».
- Se concentrer sur quelques leviers, et les utiliser avec constance. Plus cette constance sera respectée, plus les collaborateurs comprendront le sens de changements.
- Construire une compréhension à tous les niveaux de l’entreprise. Les auteurs ont trouvé que plus les collaborateurs se trouvent à un niveau hiérarchique bas, plus ils notent faiblement les caractéristiques de l’organisation ambidextre, ce que les auteurs nomment « l’effet d’érosion ». L’effet d’érosion est mesuré par la régularité et la qualité de la communication dans l’organisation.
- Voir l’ambidextrie contextuelle et structurelle comme complémentaires. L’ambidextrie contextuelle peut faciliter la séparation des processus mais aussi sa réintégration.
- Voir les initiatives d’ambidextrie contextuelle comme des initiative bottom-up et non top-down.